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  Synthèses des conférences 2012

Longs métrages : 4 études de cas | Longs métrages, 4 études de cas, Chambre de métiers, Annecy 2012 ©

Longs métrages : 4 études de cas

  1. Intervenants
  2. Modérateur
  3. Ernest et Célestine : du livre au film
  4. Le Magasin des suicides : la nouvelle forme du relief
  5. ParaNorman : le mariage de la stop motion et de la 3D
  6. Le Jour des corneilles : pour une animation naturaliste

Sommaire

Ernest et Célestine, Le Magasin des suicides et Le Jour des corneilles sont trois longs métrages d'animation français adaptés de romans ou de livres pour enfants. Au-delà du délicat travail de mise en images en accord avec l'œuvre originelle, chaque projet a suivi des chemins graphiques différents, avec respectivement 2D aquarellée, 2D mise en relief et 2D "picturale". Laika, pour le film ParaNorman, a misé sur l'innovation technologique du prototypage rapide pour réaliser un plus grand nombre d'expressions des marionnettes animées image par image.
Quelle que soit la voie empruntée, c'est une approche artisanale, au sens positif du terme, qui ressort de l'étude de ces quatre cas.

Intervenants :

Modérateur :

Mots clés

Jour des corneilles, Magasin des suicides, Ernest, Célestine, ParaNorman, Norman, Finalement, Toon Alliance, Caribara, Armateurs, Laika, stop motion, 2D ½, aquarelle 

Les quatre longs métrages présentés s'appuient sur diverses techniques, mais également différents processus créatifs et de production : 2D, stop motion, 3D, aquarelle… Ils ont également en commun de mettre en lumière des parcours parfois difficiles, souvent complexes, mais toujours conduits par la passion.

Ernest et Célestine : du livre au film

Ernest et Célestine © Les Armateurs, StudioCanal, Maybe Movies, La Parti Productions, Mélusine Productions, France 3 Cinéma

Réalisé par Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier, Ernest et Célestine (en salle en France le 12 décembre 2012) est tiré des albums de Gabrielle Vincent, qui mettent en scène les aventures d'une petite souris et d'un gros ours débonnaire dans un monde où il est mal vu pour une souris et un plantigrade de se lier d'amitié.

En 2008, l'éditeur des aventures des deux compères, Casterman, propose les droits d'adaptation pour une série. Didier Brunner, producteur au sein de la société Les Armateurs, contacte la maison d'édition et suggère une adaptation cinématographique. Pour écrire le scénario, la production fait alors appel au romancier Daniel Pennac et au jeune réalisateur Benjamin Renner, remarqué pour son film de fin d'études à La Poudrière (Valence), intitulé La Queue de la souris. Ce dernier est engagé dans un premier temps pour le développement graphique, puis pour le storyboard du pilote, financé à hauteur de 400 000 €. "Le projet initial misait sur l'utilisation de l'aquarelle pour tout le film, rappelle Ivan Rouveure, producteur exécutif du film pour Les Armateurs, mais ce n'était tout simplement pas viable sur l'intégralité d'un long métrage."

Réticent à l'idée de diriger seul une équipe de production, Benjamin Renner a donc sollicité le soutien de Vincent Patar et Stéphane Aubier, réalisateurs de la série Pic Pic André Shoow et du long métrage Panique au village, adapté de la série du même nom. Le premier challenge a consisté à conserver le style graphique de Gabrielle Vincent, basé sur un traitement des décors à l'aquarelle, des traits de contour légers, qui parfois disparaissent ou ne sont pas fermés.

Après avoir lu plusieurs ouvrages, Benjamin Renner s'est lancé dans la réalisation de deux petites animations. "J'avais déjà prévu de dessiner très peu de détails et d'aller à l'essentiel, dans une logique de croquis animés qui allait nous permettre de travailler dans le plaisir du dessin, sans revenir un grand nombre de fois dessus. Nous avons suivi cette démarche de traits ouverts, d'esquisses, avec des lignes fortes qui ne cherchaient pas à respecter scrupuleusement le volume."

Concernant le partage des tâches entre les trois metteurs en scène, ceux-ci ont travaillé ensemble sur le storyboard et le découpage, Benjamin Renner se chargeant de la création graphique. Ce partage – et non un morcellement, comme le précise Ivan Rouveure – a également été mis en œuvre côté production, entre Les Armateurs, Maybe Movies (France), Mélusine Productions (Luxembourg) et La [Parti] Productions (Belgique).

Si les environnements ont bien été réalisés à l'aquarelle, leur mise en couleur a elle aussi été animée : "Nous avons créé une étape d'animation qui a été travaillée en termes de textures et de pigments", rappelle Ivan Rouveure, qui précise que ce résultat a été obtenu après plus d'un an de recherche : d'abord sur le trait de contour, pas toujours présent ni fermé, puis sur les formes colorées et, enfin, sur l'animation de textures et l'aquarelle.

Pour les personnages, le producteur exécutif admet que "les réalisateurs ne cherchaient pas forcément une grande fluidité ; la priorité, c'était l'acting". C'est avec le logiciel Flash, à la palette graphique, que l'étape d'animation, sous la houlette de Patrick Imbert, s'est effectuée. Ivan Rouveure insiste sur le côté "sur mesure" de la fabrication de ce film : "Nous avons mis sur pied un studio uniquement dédié à cette production."

Le Magasin des suicides : la nouvelle forme du relief

Le Magasin des suicides © DIABOLO FILMS

Le Magasin des suicides est le premier long métrage d'animation du réalisateur Patrice Leconte, d'après le roman éponyme de Jean Teulé. Produit par Diabolo Films, La Petite Reine, ARP, France 3 Cinéma pour la France, Caramel Films pour le Canada, la RTBF et Entre Chien et Loup pour la Belgique, c'est également la "première fois que la Toon Alliance s'attache à un film de cette importance", note en préambule Jean-Louis Rizet, dirigeant de la Toon Alliance, regroupement de prestataires couvrant toute la chaîne de fabrication, de la préproduction au rendu final. En effet, la production s'est étalée sur plus de trois ans, impliquant plus de 200 personnes, pour un budget de 11,6 M€, avec cinq coproducteurs francophones de trois pays… et presque pas de papier.

C'est tout d'abord ETS (Executive Toon Services), basée à Paris, qui s'est chargée de la phase préparatoire : assistance au producteur pour le montage du film, élaboration du workflow de production, R&D et, enfin, coordination de la fabrication.

Caribara Animation, sous la houlette de Florian Thouret, directeur artistique, a pris le relais avec la conception graphique des personnages et des décors, la préproduction et la recherche de références. "Bien que réalisés en 2D, les personnages ont été dessinés sous tous les angles, jusqu'à obtenir des tournettes, comme en 3D, pour une meilleure appréhension de leurs caractéristiques", note Florian Thouret. Ensuite, chacun d'entre eux a été "disséqué" et réduit à l'état de morceaux de papier découpé pour avoir un niveau de détail plus important. De même, chaque élément du film (personnage, prop, etc.) disposait d'un pattern de texture, afin de donner un côté "fait à la main" via la mise en gouache sous ToonBoom, le logiciel utilisé pour l'animation.

Le studio Waooh !, situé à Liège, avait la difficile mission de réaliser les décors : d'abord au trait, puis en couleur, avant leur mise en relief. "Comme il ne s'agissait pas de faire du relief partout, nous avions mis en place un code couleurs des différents éléments des bâtiments pour savoir quoi mettre précisément en relief", précise le directeur artistique de Caribara. "Sur certains plans, notamment larges, nous sommes allés jusqu'à plus de cent calques différents pour apporter un relief tout en finesse, mais aisément captable par les spectateurs." En fait, explique Jean-Louis Rizet, "nous avons appelé cela de la 2D ½, car ce sont uniquement des déformations d'images qui donnent ce côté relief ; il n'y a aucun plan en vraie 3D. Seuls les véhicules ont été modélisés sur ce principe." En tout, le studio aura travaillé pendant dix mois sur la fabrication des décors.

Les trois sites de TouTenKartoon (TTK), à Montréal, Angoulême et Paris, se sont attachés à la partie animation, compositing et relief. "Nous avons commencé par une étape de préanimation au studio d'Angoulême, avec des envois réguliers à Patrice Leconte, afin qu'il valide, corrige au fur et à mesure, lorsqu'il se trouvait sur Paris. Cela peut paraître fastidieux mais, au contraire, cela nous a évité beaucoup de retakes."

Dernière étape, le montage image, la postproduction, le montage son, l'enregistrement des voix et la musique ont été réalisés à Paris chez Ramsès2, également membre de la Toon Alliance. "Pour être complet, rappelons que l'étalonnage et la partie laboratoire se sont faits chez Technicolor, le mixage chez Poly-Son."

Visiblement satisfait de cette première expérience animée, Patrice Leconte a annoncé le développement d'un autre long métrage d'animation, Music, avec le même écosystème de prestataires, à savoir la Toon Alliance.

ParaNorman : le mariage de la stop motion et de la 3D

L'Étrange Pouvoir de Norman © 2012 Laika, Inc./Focus Features

ParaNorman (ou L'Étrange Pouvoir de Norman, pour le titre français, en salle le 22 août 2012) est un long métrage en animation image par image (stop motion) réalisé par Sam Fell et Chris Butler. Il est produit par le studio Laika, situé à Hillsboro (Oregon, USA), à qui l'on doit également Coraline, de Henry Selick, également en stop motion. Le studio compte 320 personnes, qui ont toutes été sollicitées pour ce film et réparties en 52 unités de production. "La prise de vues, image par image, s'est étalée sur environ 18 mois", rappelle Mark Shapiro, directeur marketing du studio, venu pour l'occasion avec une marionnette de Norman, plusieurs de ses visages, ainsi qu'une armature de personnage, afin de mettre en images le travail des artistes du studio.

ParaNorman s'appuie sur un processus appelé prototypage rapide 3D pour la création de visages des personnages. Ainsi, pour coller au plus près des exigences artistiques des réalisateurs et aux attitudes des héros, quelque 31 000 parties différentes de visages (haut et bas principalement) ont été créées, à partir de modèles 3D sous Maya. "Sur certains plans, et pour un seul personnage parfois, nous avons été obligés de remplacer certains éléments de nombreuses fois, jusqu'à 250 pour un plan unique qui ne figure à l'écran que… 27 secondes !" Sur ce département bien spécifique, 45 animateurs CG, mais également des riggers et des modeleurs, ont été mis à contribution, avec des profils divers et complémentaires, allant de l'expert en informatique au sculpteur de marionnettes "à l'ancienne".

Le prototypage rapide nécessite, pour chaque élément créé, un processus en dix étapes, de son impression jusqu'au tournage, principalement pour nettoyer les impuretés de la résine, la matière utilisée pour les personnages. "Chaque visage est ensuite constitué de centaines de couches de fine poudre blanche qui passent dans une imprimante 3D pour créer un visage en volume. Sur cette forme, on applique ensuite des encres de couleur, couche par couche, afin de donner une texture réaliste ou, en tout cas, qui soit en accord avec le personnage tel que souhaité."

Le directeur marketing du studio établit un parallèle entre le travail réalisé sur Coraline et celui réalisé sur ParaNorman : "Un visage passant par les différentes étapes de ce prototypage rapide demandait entre cinq et six heures pour être créé et prêt à l'emploi." Plusieurs imprimantes 3D ont fonctionné de concert tout au long de la fabrication, pour un total de 572 jours. Pour ne citer qu'un exemple, le personnage de Norman dispose de près de 8 000 faces avec des éléments différents, permettant jusqu'à 1,5 million de combinaisons d'expressions faciales différentes !

Côté prise de vues, le studio a utilisé 63 caméras, 53 systèmes de motion control et 21 rigs en fonction des plans. La majeure partie de la capture s'est faite avec des Canon 5D Mark II. "Pour les systèmes de motion control, permettant le mouvement automatisé des caméras, explique Mark Shapiro, nous avons pris 36 systèmes Kuper et 17 systèmes propriétaires, principalement pour les plans fermés en stéréo. En tout, 24 opérateurs et lighters ont travaillé sur ce film."

Le Jour des corneilles : pour une animation naturaliste

Le Jour Des Corneilles © Finalement

Le Jour des corneilles est un long métrage réalisé par Jean-Christophe Dessaint (en salle en France le 24 octobre 2012), que ce dernier résume ainsi : "Un fils recherche l'amour de son père. Il le cherche sans abstraction, comme si c'était un petit animal à chasser, à faire sortir d'une cachette." Si le metteur en scène a déjà un long parcours à son actif, comme directeur d'animation sur plusieurs séries, il s'agissait de la première expérience d'animation pour le producteur William Picot (Finalement) et la scénariste Amandine Taffin.

La première singularité, sur cette production (pour un long métrage français), est d'avoir réalisé l'enregistrement définitif des voix avant tournage. Le casting réunit Jean Reno, Lorànt Deutsch, Isabelle Carré et le metteur en scène Claude Chabrol. "Nous avons eu accès à un grand choix de prises et beaucoup de temps pour les enregistrements et leur montage, rappelle Jean-Christophe Dessaint. Au final, nous avions créé une pièce sonore qui avait déjà toute sa dramaturgie, avant même de commencer l'animation." Ces voix définitives ont été également d'une aide précieuse pour les animateurs, qui ont pu affiner à l'image toutes les expressions exprimées à travers elles.

Le film a été tourné en cinémascope (2,35:1), qui est un format peu habituel pour l'animation, mais "qui s'adaptait bien à la géographie du film – les paysages, la forêt… – et aussi à nos choix de mise en scène. Le fait d'avoir opté pour un montage et une mise en scène avec des plans assez longs donne aussi ce sentiment de réalisme. Le cadrage en scope est aussi un vecteur d'émotion."

Si le père et le fils sont les deux personnages principaux, la forêt, omniprésente, est le troisième. L'équipe souhaitait s'éloigner du traitement stylisé de la nature sans pour autant balancer du côté du photoréalisme. Patrice Suau, directeur artistique, explique : "L'approche picturale que nous avons développée s'est imposée naturellement, parce qu'elle était le plus court chemin pour atteindre l'émotion ressentie dans le script." Patrice Suau s'est, dans un premier temps, rendu dans différents sites en plein air pour peindre "en vrai" la nature, avec gouaches et chevalet. "Je voulais réellement reproduire les sensations de peinture sur toile et m'affranchir des contraintes techniques." Le travail sur la lumière est également exemplaire de la ligne suivie par le metteur en scène : "La lumière suit la dramaturgie de l'histoire, avec la figuration des quatre saisons."

Une fois de retour en studio, "nous avons travaillé sur ordinateur, comme s'il s'agissait de vrais outils : gouache, pastel, huile, choix des couleurs liés à des pigments. La gouache aquarellée permet de placer les lumières. Tous les problèmes liés à ce sujet doivent être résolus à l'aquarelle. Vient ensuite une étape où l'on estompe le tout. Et, enfin, il y a la peinture proprement dite : avec un effet gouache, on donne les touches finales, en pâte, pour reprendre le modelé des objets, faire ressortir un détail, une texture."

Plusieurs scènes clés, notamment celle où le père livre une lutte contre les éléments, ont nécessité une forte intégration de VFX. Pour autant, confesse Jean-Christophe Dessaint, "le travail de Patrice en la matière s'est révélé totalement empirique. Il s'agissait de jouer avec les calques de Photoshop, en fonction des besoins et pour une meilleure dramaturgie."



Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop'Ose, France
Conférences organisées par CITIA
sous la responsabilité éditoriale de René Broca et Christian Jacquemart

Contact : christellerony@citia.org

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